Ceux de Katane


    La sirène fu-sie secoua la tête pour chasser l’eau coulant de ses longues oreilles grises. Elle nagea, un poisson phyx dans la bouche et longea la longue masse du Léviathan Lazaar. Elle cligna de ses yeux rouges et fixa la silhouette humaine caressant l’animal. La lumière matinale des soleils jumeaux éblouit la sirène. Elle sentait la chaleur sur son corps dessécher sa peau. Elle ramena la queue sous son ventre et agita ses nageoires pour se stabiliser. L’humain sur le Léviathan était plus petit que ceux qu’elle connaissait, mais elle percevait les échos de sa pensée. L’individu était jeune, il pouvait encore communiquer. La sirène envoya un signe mental à l’humain puis plongea d’un coup de rein.
    Pokee grattait les parasites à l’arrière de la protubérance koéïo. Elle prenait soin de ne pas toucher aux implants collés près des multiples ouïes entourant cet organe précieux. Elle perçut l’appel de la sirène mais se retourna trop lentement et ne vit qu’une légère trace sur l’océan. La jeune fille sourit, amusée par les facéties des fu-sies. Plus jeune, on emmenait les pythies comme elles, nager dans des bassins avec ces animaux joueurs. Les enfants y trouvaient le premier contact avec les espèces de Katane. Ils y apprenaient le jeu et se familiarisaient avec les nouveaux compagnons des humains. Quel âge avait-elle à cette époque ? Pokee se rappela sa mère qui la surveillait depuis une chaise. C’était avant son départ pour la station orbitale. L’enfant avait 5 ans. Elle ne se sentait plus seule depuis que les animaux de Katane l’avaient adoptée.
    Pokee grimpa sur le koéïo et monta sur le dos de la bête. Elle prit soin d’éviter la longue bande métallique qui courait jusqu’au bout du front du Léviathan et se dirigea vers le pont du sous-marin. Ses pieds nus massèrent le renflement spongieux à l’endroit où le métal et la chair s’unissent et fusionnent. Lazaar témoignait de la symbiose entre le navire humain et l’entité marine extra-terrestre. Un soupçon de plaisir parcourut l’animal et il émit un long vagissement en ouvrant la gueule. Parfois, lorsque les périodes de plongées avaient été particulièrement longues, il fallait remonter à la surface pour gratter la peau et libérer le Léviathan de ses parasites. Tout le monde s’y mettait alors, y compris le commandant.
    Justement, le responsable de Lazaar, Albert Methan, attendait près du kiosque du sous-marin. Il mâchonnait un cure-dent pour calmer son attente. Pokee trottina vers son supérieur :
    « Lazaar est impatient de rejoindre la Mère. Quand quittons-nous la terre ?
    Le commandant ôta sa casquette noire et blanche, puis la revissa sur son crâne chauve.
— Mariette m’a informé qu’elle souhaitait venir, j’ai promis de rester jusqu'à son arrivée.
— Elle ne veut pas manquer le Uëfahie ?
— Arrête de parler katanais avec moi, Pokee, reprocha gentiment Methan. Cela fait longtemps que je ne suis plus Pythie et je n’ai jamais su utiliser cette langue.
— Elle me permet de parler avec les Léviathans. Toutes les pythies parlent ainsi entre elles. C’est plus facile pour se comprendre entre nous
— Non, Pokee, c’est une simplification. Même s’il permet de rendre compte de certains concepts, le katanais ne peut rivaliser avec la richesse de la communication avec nos amis. Et il est trop éloigné de nos propres concepts. Cette langue manque de subtilité.
— C’est un outil, commandant. Elle nous demande d’être subtiles.
    Methan hocha la tête et reprit la destruction de son cure-dent. Pokee salua en souriant, puis ouvrit le sas d’entrée dans la tourelle. Sur le pont, le commandant attendait debout. Empoignant ses jumelles, il porta son regard vers la mer. Une ombre florissante attira son attention. Il repéra immédiatement la nuée d’oiseaux-paradis tournoyant au-dessus d’une masse rosâtre. Le grossissement de l’optique précisa les formes arrondies de To’mae, la Mère. La longue tête oblongue roulait de droite à gauche, bercée par l’eau. Des clapotis à la surface signalaient la présence de sirènes fu-sie près du Léviathan. Ses deux grandes nageoires ventrales soulevèrent une gerbe d’écume pour éloigner les importunes trop proches du dos frémissant.
    A l’approche de l’éclosion, les Mères se découvraient nerveuses, presque agressives. La poche dorsale translucide battait au rythme de la future progéniture, dans un mélange de reflets rouges et bleus. La membrane, tendue à l’extrême, était secouée lorsque l’animal tentait de retrouver son équilibre dans l’eau. Les quatre nageoires caudales oscillaient en permanence, provoquant de grands remous dans le sillage.
    To’mae voulait atteindre le lieu d’éclosion. Elle manifestait son inquiétude par de longs mugissements plaintifs. Elle attendait son chevalier, celui qui l’escorterait pour son périple. Elle avait besoin de sa présence ainsi que celle de son équipage. Le Léviathan était une vieille connaissance de Methan, lorsqu’il était Pythie sur le Bellérophon. Jamais encore les humains n’avaient été autorisés à pénétrer dans l’île Sourde. La naissance était l’un des secrets de ces animaux.

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