La Liberté humaine face aux dieux créateurs

Notes : Comme toutes les discussions, il ne s'agit pas d'un résumé de l'oeuvre, mais de la mise en perspective de certains de ses aspects.


Présentation

L'une des obsession d'Hideaki Anno semble être le rapport entre Dieur et les humains. Ceci se manifeste de manière légère dans Nadia, et de façon beaucoup plus prçononcée dans Neon Genesis Evangelion (NGE). Cependant dans ce dernier, la surabondance de références bibliques (Ancien et nouveau Testament) sonne comme autant de fausses pistes destinées à ne pas faire de l'oeuvre un manifeste mystico-religieux et d'insister sur le message humaniste.

Pour démêler l'écheveau, il faut partir tout d'abord de Nadia, parce que cette série exploite le thème du Dieu créateur de manière simple, ceci permet d'introduire l'apport de NGE sur ce point. Dans une deuxième partie, la vision d'Anno de l'Humanité et de ses rapports avec Dieu et l'enseignement du Christ sera abordée plus précisément.

Dieu comme créateur et maître

Derrière l'affrontement entre Némo et Gargoyle, derrière les tentatives de Gendô pour ne pas accomplir le projet de la Seele, se profile la volonté de ne pas se laisser un Dieu décider du destin des hommes. Pourtant, c'est de la constatation de la faillite de l'Homme que naît chez Gargoyle et la Seele, l'idée de reconstruire Dieu.

Pour Gargoyle, dans Nadia, les Atlantes ont produit des ouvrages technologiques et une civilisation que l'Humanité ne peut atteindre. Il est donc partagé entre cet héritage atlante et le "pauvre coeur des hommes"(Sôseki). D'où son respect pour l'ancien Roi des Atlantes : Nemo. Ce dernier représente son objectif et son héritage. C'est aussi pourquoi il cherche à le détruire et à assujettir les humains. Eliminer Némo, c'est à la fois faire disparaître un opposant, mais aussi le souvenir de cette civilisation.

Gargoyle reprend l'image traditionnelle du Dieu biblique qui juge les hommes et exigent d'eux une soumission totale (le sacrifice d'Isaac, Gn 22:1-19), dans laquelle tuer des êtres humains, c'est leur apprendre un ensemble de règles et de commandements qui vont s'inscrire dans leur chair. C'est aspect est souligné dans l'épisode 39 ou Gargoyle dit à Nemo : "C'est un jugement devant Dieu", et "Dieu te juge avec ses propres yeux et il te juge d'une manière juste".Seulement le Dieu des Hébreux pardonne, aide le peuple qu'il a choisi et accepte de parler et de discuter avec ses membres, ce que ne fait pas Gargoyle qui ne fait que juger. De même dans la théologie hébraïque, l'homme est libre de ses actes, il n'est pas un pantin aux mains de Dieu, alors que la position de Gargoyle est inverse : c'est un Dieu totalitaire, impitoyable, sans amour et en fin de compte humain (pas la peine d'attendre donc le dernier épisode pour le savoir). Car malgré toutes ses tentatives; Gargoyle reste un être humain prisonnier de ses haines et de ses colères (voir, la destruction de la Tour de Babel et son désir irresistible de toucher la pierre bleue -qui joue là le rôle de l'Arche d'alliance.). Tandis qu'à l'inverse, "l'inhumain" Nemo a renoncé à tout sentiment pour le Bien de l'Humanité, il a lui-même châtié son peuple (un déluge?), et par amour pour l'Humanité (nouveau peuple élu?), il affronte Gargoyle. Ils s'opposent sur leur vision de l'Humain et de son avenir. Gargoyle veut protéger la Terre contre les dérives humaines (épisode 8 : "Je purifierai la Terre des êtres qui la peuple"), tandis que Nemo accepte la faiblesse et la folie humaine. D'ailleurs Jean, dans Nadia, est la parfaite démonstration de cette humanité faible, maladroite mais capable de générosité. Il est vraisemblable que Nemo a compris que le règne des Atlantes était bel et bien terminé et que la Terre devait rester aux Humains, avec tous les risques que cela comporte. Au contraire, Gargoyle le refuse. Ainsi, dans Nadia, on obtient les deux images de Dieu : le Dieu classique, autoritaire et impitoyable comme Gargoyle, et le Dieu faible et seul comme Nemo. (NB : A ce sujet, il faut peut-être rappeler que pour la philosophe Simone Weil, la faiblesse de Dieu est la seule façon d'expliquer la naissance de l'univers. Dieu s'est retiré, s'est retranché pour laisser une place au monde. C'est un thème qui sera très présent dans NGE, où Dieu et Humanité sont mêlés.)

Le Dieu de NGE n'est pas très éloigné du Dieu dans Nadia. Mais, il n'apparaît pas de manière aussi flagrante par une personnalité comme Gargoyle. En fait, dans NGE, Dieu n'est qu'un projet, celui de la Seele (l'âme, en allemand). Pourtant, ce projet est bien le même que celui de Gargoyle : l'Humanité s'est perdue, il faut lui redonner une croyance. On peut noter, chez Anno, la prise de distance avec le discours traditionnel sur la fin des croyances et des idéologies. Il apparaît naturel de regretter le temps où croire en Dieu ou au Communisme suffisait pour rassurer et être heureux. Anno semble balayer tous ces discours, ce pathos, pour se concentrer sur l'Humanité en général et sa difficulté à vivre sans croyance. D'ailleurs ce qui guide la Seele, ce n'est pas Dieu, mais la croyance : il faut accomplir un programme, un horaire défini dans les Manuscrits de la Mer Morte. L'Homme doit réapprendre cette croyance. Il ne s'agit pas de recréer Dieu, réellement, mais de recréer son existence, par la croyance. D'où l'utilisation des Manuscrits, comme prophétie et donc preuve. Dans NGE, Dieu est d'autant plus présent qu'il est absent (ce qui est avéré dans les derniers épisodes). Et sa quête est d'autant plus vaine qu'elle est inutile : l'Homme n'a nul besoin de Dieu pour vivre. Ainsi, dans la masse de références mystico-religieuses, le Dieu que tout le monde voit (dans les crucifix, les croix, les noms, les Anges) est absent de ce monde. Il n'existe que par la croyance et par l'Homme qui l'a mis en oeuvre, c'est pourquoi le Plan de complémentarité est celui de l'Homme et non celui de Dieu. Il ne s'agit pas de retrouver Dieu, mais de retrouver l'Homme. Cependant, il faut noter qu'Anno se positionne par rapport au christianisme,(c'est-à-dire par rapport à l'enseignement du Christ -Homme/Dieu- et de ses disciples) et non par rapport à la Bible (qui n'apparaît que par les références ou la Kabbale). Par ce moyen, il unit la tradition judéo-chrétienne et sa vision humaniste. Il n'est sans doute pas un hasard si les épisodes 25 et 26 reprennent des éléments des épîtres de Jean (pas de l'Apocalypse). Ce n'est pas du prosélytisme mais plutôt débarasser le message humaniste chrétien de ses références mystiques et de la nécéssité de Dieu. En définitive, l'Homme n'a pas besoin de Dieu pour vivre, mais cela ne signifie pas que le message des évangiles n'est pas universel et humain.

Pour résumer, le Dieu dans Nadia et Evangelion a beaucoup évolué. Il est passé du Dieu biblique au Dieu chrétien. D'un Dieu autoritaire et humain (Gargoyle) ou faible (Nemo) à un Dieu présent en creux (il existe par les croyances humaines, mais pas réellement). Ceci amène à retrouver l'Homme derrière Dieu, et à souligner la joie et la difficulté de vivre de l'être humain.

"Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort" (1 Jean 3:14)

Les épisodes 25 et 26 d'Evangelion sont, sur beaucoup de points, des démarcations de certains passages des Evangiles et des épitres de Jean (y compris dans les Actes des apôtres apocryphes). Il n'y a peut-être aucun rapport avec le choix du nom de Jean dans Nadia, mais c'est en tout cas une piste intéressante. Cependant, si il y a reprise, il n'y a pas reproduction à l'identique. Lorsque l'apôtre Jean parle de Dieu, NGE place l'Humain. Mais, le commandement d'amour reste, et la difficulté d'être aussi. Enfin, à travers ce message, il y en a un plus important encore que l'existence de Dieu, et c'est sur cela que veut insister Anno : la notion d'immortalité. Si l'on quitte Dieu pour se concentrer sur le Christ, on s'aperçoit que son enseignement et sa résurrection ont pour finalité d'apprendre à l'Homme comment être immortel. Dans NGE, le problème est le même : Kaoru (les Anges) cherche l'immortalité, et seuls les humains la possèdent (c'est particulièrement visible dans la relation entre Gendô et Yui).

Dans la première partie de l'épisode 25, la construction est la suivante : Shinji voit passer ses amis et ses connaissances qui toutes commencent leur interventions par "Je suis la/le (nom du personnage) qui est en toi".

retour vers Discussion
vers la page d'Erionretour vers la page d'Erion
retour vers l'index général


Pour toute remarque, suggestion ou autre, écrivez-moi : olivier.paquet@free.fr