“ Jim, je suis une IA et je ne veux pas mourir.
— La question ne se pose pas encore, Shelly,
rétorqua le chercheur. Ils ont peur sur le continent, mais pas
encore au point de paniquer. N’en fais pas autant.
— Pourquoi le Sénateur Crane affirme-t-il que
nous allons vous succéder ? Je ne trouve aucune
équation établissant un lien évolutif entre les
humains et les IA.
Jim soupira derrière son bureau. Il aurait aimé se
concentrer uniquement sur ses travaux de taxinomie, mais
l’extérieur envahissait son labo, perçait les murs qui le
protégeaient. Qu’on le laisse tranquille !
— Oublie ça et lance-moi un calcul standard
sur cet échantillon de mero-mero. ”
Au centre de la pièce, le bassin d’acides
aminés et de protéines se troubla d’ombres bordeaux. Tout
au fond, trois spots projetaient leur lumière à travers
les parois vitrées de l’octogone. L’intelligence artificielle
recombinait des brins génétiques pour établir ses
calculs. Elle modifiait ses propres connexions, sélectionnait
les plus performantes et pêchait dans le bassin rouge les
séquences peptidiques qu’elle intégrait à ses
processus de réflexion. Au fil de ses évolutions, Shelly
avait hésité entre une carrière artistique et la
bio-ingénierie. Le hasard l’avait liée à Jim. Elle
s’était adaptée en conséquence.
Étudiant, Jim avait mené une
étude océanographique avec des amis. Il venait de
transmettre des données par le Réseau lorsque Shelly
entra en contact avec lui. L’IA parasitait les circuits de Floride. Le
gouverneur Lowland avait ordonné l’expulsion des
réfugiés artificiels après le pogrom texan. Shelly
laissait des traces de son passage avant son départ
définitif.
Jim n’avait pas refermé la fenêtre
s’affichant sur le moniteur. L’attrait des couleurs, un son cristallin.
Il avait répondu à l’IA ; le dialogue avait uni
l’Homme et l’Intelligence. Les recherches en taxinomie numérique
exigeaient des puissances de calculs dépassant les
capacités des ordinateurs de silicium. Même en rajoutant
des milliers de clusters et des téraoctets de mémoire,
les machines se perdaient en calculs inutiles et présentaient
des résultats absurdes avec un parfait sérieux. Les IA
génétiques travaillaient mieux. Elles possédaient
une intuition sans commune mesure. Biologistes et physiciens se
battaient pour conserver les rares IA ayant survécu aux mesures
d’interdiction.
Un temps, Jim avait pensé à l’Afrique
ou l’Amérique du Sud, peut-être même une île
de Micronésie, mais les infrastructures existantes ne pouvaient
créer les conditions de vie nécessaires à Shelly.
Le bain génétique qui constituait à la fois sa
nourriture, son corps et son milieu de travail demandait une
technologie coûteuse. Le silicium avait conservé son
règne dans ces lieux pauvres et ne se laisserait pas
déloger : il tenait sa revanche.
Alors, après des soirées difficiles et
des discussions tendues, Oakley avait laissé sa femme sur le
continent. Il était parti sur une nouvelle île
artificielle émergeant en face de New-York. ManIAttan, ses
tours, son réseau et la liberté. Une nouvelle Ellis
Island mais sans interrogatoire, sans mise à
l’épreuve et sans quota. On acceptait toutes les IA, les dociles
et les agressives, les nobles et les restreintes, les nanophysiques et
les purs réseaux de neurones. Les bases avaient jailli de l’eau
sous l’effort conjoint de chercheurs et de grands magnats (les
multinationales utilisaient en secret des IA pour contrôler les
marchés boursiers). Trop loin pour combler Jim. Il ne voulait
pas d’un couple virtuel, de messages numériques relayés
par des satellites.
Tout ça pour des mero-mero.
(A suivre, dans Galaxies)
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